Atelier écriture du 06 octobre 2018
- Texte 1
Il s’appelle CANTIECLE comme son grand-père et son trisaïeul.
Dans sa famille on donne ce prénom étrange une génération sur deux.
Y aura-il une autre génération ?
Il est originaire de la partie la plus septentrionale de l’Écosse, cachée au milieu des lacs et des collines, là où les sons sont étouffés par la brume quasi permanente, là où les odeurs de la nuit sont si fortes qu’on peut en perdre le sommeil.
C’est là qu’il vit une grande partie de l’année sauf pendant les mois de juillet août où on ne le voit pas ; son amour pour le brouillard est si fort que dès que le ciel est bleu il disparaît.
Mais plus encore que le beau temps ce sont les touristes qu’il déteste surtout lorsqu’ils sont armés de leurs appareils photo. Comme il peut rire de leur naïveté et de leur bêtise à vouloir à tout prix lui tirer le portrait. Mais la colère le gagne lorsque, sans prévenir, sa mère lui assène une bonne claque derrière l’oreille pour qu’il reste caché.
C’est justement un de ces soirs, où les fougères craquent sous les pas et où les bruyères parfument délicatement l’air lourd chargé de vapeur, que Victor Coste l’a rencontré.
Victor, inspecteur en région parisienne, est venu prendre du repos loin de chez lui. Une pause bien méritée après cette enquête impossible, éprouvante.
C’est CANTIECLE qui s’est montré le premier, d’abord timidement puis il a sorti sa tête de l’eau et a poussé un long soupir une sorte de plainte modulée presque comme le début d’une chanson.
Victor a tout d’abord été surpris puis il s’est mis à rire, à rire jusqu’à s’en étrangler. Cette étrange tête qui le regarde de ses yeux doux à travers le brouillard, rêve ou réalité ?
Faut dire qu’il n’est pas tout à fait dans son état normal avec tout le scotch qu’il a bu chez sa logeuse avant de partir marcher alors une telle vision quoi de plus naturel dans ces circonstances.
Victor, ou plutôt Coste comme tout le monde l’appelle, est un vieux flic bougon qui sait toujours comment dévier la loi pour trouver le coupable. Il aime travailler seul mais son équipe l’adore et il connaît bien son département le « 9.3 », ses commissariats et ses prisons, ses petits délinquants et ses gros caïd, sauf que sa dernière enquête l’a anéanti et c’est pour cela qu’il est venu dans ce coin perdu. Comment a-t-il pu se tromper à ce point et quelles conséquences…. Car elle est morte à cause de lui, à cause de son entêtement, alors cette bestiole qui le regarde ce soir, c’est vraiment pas grand-chose. Quelle importance.
- ben mon vieux c’est une chance que je te trouve ici j’ai justement besoin de compagnie. Mais que je suis bête, tu ne parles pas. C’est comme mon chien, j’arrête pas de lui causer comme s’il allait me répondre… oh ! … et puis zut !
Victor se retourne alors vers l’autre bout du fjord, les yeux perdu, le cœur qui s’emballe. Il va très mal et se demande s’il parle vraiment à une sorte de dinosaure préhistorique qui lui souffle une odeur nauséabonde dans la figure.
- tu dois pas te brosser les dents souvent, ton haleine est épouvantablela tienne aussi !mais… mais… tu causes !!depuis le temps que je côtoie les humains j’ai appris leur langue et j’en connais même plusieurs
- ben ça alors !
Victor est tellement stupéfait qu’il se laisse tomber lourdement sur la lande
- si tu connaissais ma vie tu serais encore plus soufflé, lui dit Cantiecle
- et toi si tu savais pourquoi je suis là ..
Victor baisse la tête et ses yeux se remplissent de larmes mais elles refusent de couler
- Toi, tu ne vas pas bien, je le sens, soupire Cantiecle, tu sais je n’ai jamais parlé à personne. D’ailleurs je suis plutôt du genre discret
- alors pourquoi tu t’es montré ?
- ça je te le dirai plus tard mais toi dis-moi plutôt ce que tu es venu faire ici
- c’est une très longue histoire mais nous avons toute la nuit
- tu vois Coste, je peux t’appeler Coste, je suis le dernier de ma race, plus personne pour fonder une famille et je vais m’éteindre là cette nuit c’est comme ça c’est tout et toi.. ?
- moi c’est le remords qui me ronge ; une grave erreur de jugement qui a eu des conséquences terribles qui ont coûté la vie à une fillette
Un long silence se glisse entre eux juste brisé par le cri d’un oiseau de nuit.
- rentre chez toi et occupe-toi de ta famille car les vivants sont plus importants que les morts, quelqu’un t’attends demain alors que moi je suis vraiment seul
Victor est parti d’un pas lourd sur le chemin. Il s’est couché légèrement mieux.
Au dehors, malgré le brouillard, les cris et les plaintes venues du fjord sonnaient comme une délivrance.
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- Texte 2
Constance
Constance est très âgée. Elle est ratatinée, bossue mais son visage mat, typé, encadré de cheveux blancs immaculés, reste très beau. Ce sont ses yeux en amande surtout, noirs, brillants, qui témoignent de son goût pour la vie, pour la découverte, pour l’aventure de la pensée. Pourtant elle ne voit presque plus et ses repères spatiaux, temporels et mnésiques sont fortement affaiblis.
Constance résiste autant que possible à l’érosion du temps, au déclin de sa vie.
Un jour, lors de l’une de mes visites à intervalles réguliers, quelle ne fut pas ma surprise de ne pas la trouver chez elle, elle qui ne sort presque plus, sauf accompagnée. Affolée, je fis le tour du jardin puis sortis dans la rue puis fis le tour du village. Je ne la trouvai nulle part… J’entrepris alors d’aller jusqu’au bord de la rivière. Et là, je la vis, debout près du pont, le regard accroché au scintillement de l’eau, un léger sourire sur les lèvres.
-« Vois comme la vie s’écoule et passe… Comme il fait bon, comme le parfum de la menthe enivre… »
Une grenouille coasse, une autre répond puis le concert se déclare et s’amplifie. Je l’entends poursuivre dans un soupir :
-« Je ferais mieux de me retirer et de m’enfoncer dans les herbes, sur l’un de ces étranges îlots de la rivière où les hautes herbes me masqueront complètement et je ferais mieux de partir ce soir au soleil couchant… »
Sa voix s’éteint. Puis elle éclate de rire et, sans se tourner vers moi, continue :
-« Ecoute, c’est l’incroyable histoire de Jürgen, ton cousin, et de sa belle sirène. Jürgen est né en Islande par une nuit noire et un temps glacial. Adulte, il vivait dans le sud de la France ; c’est la cuisine qui l’avait amené dans le pays. En réalité, il détestait la chaleur qui rougissait sa peau et le faisait ressembler à une écrevisse cuite. De fait, il était allergique aux crustacés quels qu’ils soient. Un jour il avait découvert les peintures représentant les animaux coincés dans leur cadre de Benoît Déchelle et en particulier les crabes, ce qui l’avait fait rire aux larmes.
Un jour, par une belle fin de matinée, Jürgen, se promenant sur la plage sous son grand chapeau, aperçut une forme allongée sur le sable, emmitouflée dans un grand voile chamarré. Intrigué, il s’approcha et vit que la forme, féminine, était trempée et grelottante malgré le soleil à son zénith. Il l’aborda en anglais. Surprise, elle répondit dans cette langue. Elle s’appelait Vashti, ce qui signifie « reine de Saba » en Perse. Ils éclatèrent de rire lorsqu’un petit crabe grimpa et s’arrêta sur le pouce du pied droit de Vashti.
Le dialogue qui suivit prit une allure fort étonnante :
- Vashti, comment êtes-vous arrivé là ? D’où venez-vous ?
- J’ai été rejetée sur le rivage, et vous ?
- Rejetée, dîtes-vous ? Comment cela ?
- J’aime l’eau de la mer mais elle ne m’aime pas.
- Ah bon ? Moi c’est le crabe qui ne m’aime pas.
- Vous êtes allergique ?
- Oui, il me rend malade.
- Quel dommage, c’est si bon. Comme j’aimais en déguster en bonne compagnie, avec un verre de muscadet….
- Ah ! Je pensais que vous arriviez des Indes avec ce joli sari qui vous enveloppe.
- J’ai beaucoup voyagé Jürgen, si vous saviez…
- Moi aussi je viens de loin mais le crabe m’a rattrapé. Je suis cuisinier et condamné à le préparer jour après jour alors qu’il me fait tant souffrir.
- Je suis triste pour vous Jürgen…
Après un silence, Jürgen reprend :
- Et vous Vashti, rejetée…là, sur le rivage, dîtes-vous ?
- Oui, c’est une longue histoire. J’ai eu une vie merveilleuse, Jürgen, mais…
- Mais… ?
Silence…
- Mais parlons plutôt de vous, Jürgen : vous êtes allergique au crabe ? depuis quand ? comment cela s’est-il manifesté ?
- Cela s’est développé petit à petit et… d’après ce que je sais, cela continuera…
- Cela doit être très gênant dans l’exercice de votre profession… je compatis.
- Et vous Vashti, quelle profession exercez-vous ?
- J’ai parcouru le monde mon ami et… quelle est ma profession me demandez-vous ? Vous voyez, je suis là, allongée devant vous, trempée, misérable, que pouvez-vous imaginer ?
- Je ne sais pas Vashti, vraiment pas…
C’est alors que Jürgen s’exclama :
- Vashti, voulez-vous m’épouser ?
Vashti se releva lentement, ses yeux lançant des éclairs. La gifle fusa, imprimant une vaste étendue rouge sur la joue de Jürgen, interdit. Serrant son voile autour d’elle, elle entra dans l’eau… qui l’engloutit.
Constance s’arrêta… regarda autour d’elle. La nuit était noire.
- « Vahti, belle sirène, qu’as-tu fait ? »
Je sentis sa main sur mon bras.
- «Mais … tu es là ? Où suis-je ? Je ferai mieux de partir. Emmène-moi maintenant. Oui, rentrons…»
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- Texte 3
Emil
- Emil !…
- Mais, c’est un prénom masculin, ça !
- Non, Monsieur l’Inspecteur, Emil sans « e »…
- Sans eux ? Qui ça, eux ?
- Non, Monsieur l’Inspecteur, sans la lettre « e ».
Emil fait ses courses régulièrement au Super U de Barbès.
La plupart de ses petits vieux habitent le quartier. Alors, quand elle sort du travail, en fin de journée, elle fait ses courses au Super U. Avant de rentrer chez elle et de retrouver Bouba, son Bouba, son fils de douze ans, la prunelle de ses yeux, son seul amour.
Son seul amour.
Petit Tom est l’un de ses petits vieux.
Vous ne connaissez pas Petit Tom ?
Elle, elle le connaît bien.
Les habitants de Barbès aussi.
C’est ce type étrange, très mat de peau, moustachu, qui gesticule à l’entrée du Pont d’Iéna. Et on ne sait jamais s’il fait du stop ou s’il veut vous indiquer un danger, là, sur le sol, là, dans le ciel. Et ça gesticule, ça gesticule. Un petit fou, quoi, qui descend toujours à pied et tous les jours de Barbès, et remonte le midi pour manger avant de redescendre gesticuler l’après-midi et de remonter avant le couvre-feu.
Petit Tom passe donc son temps à l’extrémité du pont d’Iéna.
Il y gesticule.
Et ce jour-là, deux étudiants de Dauphine qui passaient à vélo se sont arrêtés. Ils ont parlé à Petit Tom et Petit Tom les a suivis. Et au lieu de remonter déjeuner à Barbès, il les a suivis.
Ils l’ont fait entrer dans la fac.
Il les a accompagnés dans un amphi.
Là, un professeur de linguistique gesticulait.
Petit Homme était ébahi, abasourdi, médusé.
Et tout en gesticulant, le professeur répétait :
- Syntagme ! Paradigme !
Sur syntagme, il gesticulait horizontalement.
Sur paradigme, il gesticulait verticalement.
Tout cela a commencé à angoisser Petit Tom. Il a jeté des regards éperdus vers les deux étudiants qui l’avaient entrainé là.
Syntagme ! Paradigme !
On aurait dit des médicaments. Ou des traitements. Des chocs électriques, peut-être.
Petit Tom avait connu les chocs électriques. A Saint-Anne, justement. Alors, syntagme, paradigme ! Et tous ces jeunes assis qui écrivaient, tapaient sur leur clavier d’ordinateur, envoyaient des SMS, dessinaient des crobards, ça, ca, ça angoissait Petit Tom.
Il a raconté cela tout à l’heure à Emil, tandis qu’elle préparait son diner.
Et puis, elle l’a quitté et elle est allée faire ses courses.
C’est au Super U qu’elle a rencontré Zvi Litvinoff, ce soir-là.
Il lui a dit :
- Vous ressemblez à Alma…
- Alma, a-t-elle répondu ? C’est le nom de ma mère…
Et ils ont éclaté de rire tous les deux.
C’est après que ça s’est gâté.
Une larme a perlé au coin des paupières ridées de Litvinoff.
- Ca va, a demandé Emil ?
- Alma… Alma… a murmuré Litvinoff, en proie à une émotion profonde, sincère. Tu ressembles tant à Alma…
Emil a l’habitude de ces moments d’émotion qui submergent parfois les papys et les mamies dont elle s’occupe pour l’ASSAD de Barbès. Le plus souvent, l’un ou l’autre a perdu son conjoint, et, à l’occasion, l’émotion naît au détour d’une remarque sur un objet qu’elle époussette ou une question sur une photographie ou, plus banalement, lors d’une conversation anodine, au détour d’un mot apparemment sans enjeu.- Alma ? a demandé Emil en posant une main bienveillante sur l’épaule secouée de sanglots de Litvinoff perdu au milieu de ses paquets de graines de cumin, de curcuma en poudre ou de curry. Alma, c’était votre épouse ?
Elle aussi est troublée par la figure de sa mère qui surgit soudain du hasard de ce prénom lancé par Litvinoff et qui la renvoie fissa au bled, dans sa Kabylie natale, tout près de Tizi Ouzou. Et Alma, Alma, en tamazight, c’est la prairie, sa plaine, sa terre natale, son père, là-bas, enfui, enfoui…
- Emil, sans « e ». Bon ! Emil sans « e ». Emil comment ?
- Emil Rajaït-Ounès, Monsieur l’Inspecteur. Je suis Kabyle.
- Kabyle ? Kabyle ?
- La Kabylie, Monsieur l’Inspecteur. En Algérie.
- Vous êtes algérienne, alors ?
- Non, Monsieur l’Inspecteur, Kabyle.
- Bon. Kabyle. Et vous vivez où ?
- A Barbès, Monsieur l’Inspecteur.
- Et donc, vous n’aimez pas les vieux messieurs…
- Mais si, Monsieur l’Inspecteur, j’aime bien les vieux messieurs et les vieilles dames, c’est mon travail.
- Mais alors, pourquoi avez-vous frappé Monsieur Litvinoff ?
- Parce qu’il m’a manqué de respect, Monsieur l’Inspecteur.
- Comment ça ?
- Il m’a dit : « T’as un joli petit cul, toi ! Comme Alma ! » Et ça, je n’aime pas du tout.
- Ce n’est pas une raison pour le frapper, Madame Rajaït-Ounès…
- Mais, Monsieur l’Inspecteur, après, il a mis la main sur…
- Sur votre postérieur, Madame Rajaït-Ounès ?
- Non… Devant… Et ça m’a rappelé mon… Et ça m’a mise en colère !
- Je comprends, je comprends, Madame Rajaït-Ouinès, mais quand même, il ne fallait pas le frapper. Il ne fallait pas.
- Je l’ai juste giflé, Monsieur l’Inspecteur, pour qu’il retire sa main de… Oh ! pas fort ! Juste une toute petite gifle. Il a crié, c’est vrai, mais c’était juste une toute petite gifle.
L’Inspecteur a froissé la feuille sur laquelle il tapait le rapport d’interrogatoire de Madame Emil Rajaït-Ounès et qu’il venait d’imprimer. Il en a fait une boule et l’a laissée tomber par terre…
- Ca va. Il ne porte pas plainte. Et vous ?…
JLM
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- Texte 4