André Bucher

André BUCHER Déneiger le ciel
Sabine Wespieser Editeur.
2007. 146 pages.

Une journée et une nuit dans la vie de David. Décisives. Car il neige en abondance, dans un pays de montagne rugueux où le mot « solidarité » a encore un sens. Et c’est  la veille de Noël, une fête familiale, symbolique… David sera en route toute cette journée et toute cette nuit. Pour Aider.
Aider Pierre, un vieux berger dont il sera, en pleine nuit, le bon Samaritain.
Aider Antoine, son « fils de rechange » qui vient passer Noël avec lui mais doit faire 30 km à pied dans la neige pour le rejoindre.
Aider Serge, celui qui, maintenant, déneige à sa place et dont la femme est sur le point d’accoucher.
En bon berger, mettre à l’abri des génisses surprises en pleine neige précoce, et enlisées dans leur champ. Quel homme d’entre vous, s’il a cent brebis, et qu’il en perde une, ne laisse les quatre-vingt-dix-neuf autres dans le désert pour aller après celle qui est perdue, jusqu’à ce qu’il la retrouve ?
Aider Muriel, une amie/amante toujours en désespérance de sa fille Martine disparue dix ans plus tôt – et qu’on retrouvera dans La Vallée seule où elle est une pièce de ce subtil patchwork –.
Et tout au long de ces « Douze Travaux de… David », qui n’est pas Goliath,  il pense, se souvient, ressasse… sa femme, écrasée par un chauffard, sa fille, Noémie, l’amie de Martine, et qui divorce, ses petits enfants qui demandent si Mamie est au ciel, l’avenir de sa relation avec Muriel. Et la fin est ouverte…

Un roman à la belle structure, totalement inscrit dans le paysage, évoqué dans toute sa rudesse et toute sa beauté, dans une écriture poétique, simple, douce, comme des pas dans la poudreuse, ses symboles discrets, sans cucuterie aucune, sa finesse psychologique. Un bonheur de lecture qui aide le lecteur à faire le point sur sa propre existence, mais sans  prétention de donneur de leçons.

André BUCHER La Vallée seule
Ed. Le mot et le reste.
2013. 170 pages.

Ce roman retrace, à petites tranches, petits paragraphes au premier abord décousus,  la vie d’une vingtaine d’habitants d’un hameau dans une vallée reculée, la vallée seule,  une année rythmée par les saisons et les tâches ou activités qui leur sont liées. S’y lisent, progressivement, après quelques pages un peu déroutantes,  parce qu’on ne connaît pas – pas encore –, les lieux, les gens,  les liens tendres ou tendus des différents protagonistes, l’évolution de ceux-ci sur le cours de l’an. Le lecteur s’acclimate, s’apprivoise, et finit par se sentir comme chez lui avec les habitants de cette vallée, comme s’il fallait un peu de temps pour ne plus se sentir étranger au lieu, aux gens, aux légendes. On finit d’ailleurs par se confondre avec un vieux cerf observateur, présent comme le lecteur dès la première page, dont  la présence attise curiosité et convoitises et qui noue une étrange relation avec Gisèle, l’institutrice retraitée qui bâtit de l’imaginaire avec deux enfants du hameau et que la maladie vient frapper.
Cette montagne et son animal totem n’ont jamais entendu parler d’autre langue que celle qui résonne en eux. Ils ne savent si ceux et celles qui se hasardent dans son espace, possèdent, en dehors de leur convoitise, une voix, une réalité complémentaire. […]Et c’est au cœur de cette vallée seule, de cet endroit improbable, qu’une mystérieuse et lointaine parenté tous les unit.

On retrouve avec plaisir dans ce roman dont la technique narrative évoque les chassés-croisés – Short Cuts – de Robert Altman, les thèmes chers à l’auteur, telles la nature sauvage,  les concessions qu’elle fait aux hommes qui s’y installent, les vies cassées qu’elle seule répare, un peu… On est séduits par toute une galerie de personnages tendres, émouvants, hauts en couleurs, écorchés, décalés, poètes qu’on prend plaisir à retrouver au gré de la plume de l’auteur, et on partage avec le narrateur la détestation des viandards que le vieux cerf fascine aussi. On entre de plein pied dans des existences et on finit par envier cette parenté qui tous les unit et que la lecture a su nous faire entrevoir. La parentèle, chère à Philippe Minyana. Un beau roman, un grand roman, joliment écrit.

André Bucher Le Pays qui vient de loin

2003. 183 p.
Sabine Wespieser Editeur

Jérémie, 18 ans, son père Daniel, 40 ans, se retrouvent dans la ferme de Samuel, leur grand-père et père pour l’enterrer sur ses terres rudes et finir la coupe de bois commencée avec Paul, le vieil ami de Samuel. Daniel a été privé de son fils par son divorce difficile dont le souvenir reste douloureux et dont les péripéties se poursuivent et s’achèvent ici. Le père et le fils se retrouvent alors  et comblent les manques, les absences. Entre les souvenirs de Paul, ceux de Daniel, le secret de Samuel, sa présence toujours vive, une nouvelle vie se décide pour Jérémie, en accord avec la nature et avec lui-même.

André Bucher écrit ici somptueusement le roman des liens, de filiation, de paternité, d’amour, d’amitié, d’attachement à une terre rude magnifiée par l’écriture. Il célèbre joyeusement les beautés de la nature, ses mystères, ses réalités économiques difficiles, dans une langue poétique sans afféterie. 

André Bucher A l’écart
2016. 107 p.
Ed. Le mot et le reste

Même si le romanesque est préférable à l’essai car il procure de l’émotion et n’est pas aussi figé dans les échappées qu’il permet, comme il le souligne lui-même, André Bucher, dans cet essai , se permet des échappées belles pour nous raconter l’histoire de sa vie, sa vie à l’écart, sa vie de « Paysan écrivain, et maintenant écrivain-paysan »,  comme le titre son premier chapitre, les mondes qu’il aime, ceux de la nature, comme ceux de la littérature et de l’écriture, -« l’écriture de la nature » est le titre de son 3e chapitre-, et cet « «écart », c’est aussi l’ellipse à laquelle il recourt, le  bond dans la chronologie des évènements  afin de nous livrer l’homme qu’il est, simplement qui, de bon matin […] enfile une grosse veste, ouvre la porte-fenêtre et décide de boire [s]on café au balcon du ciel, sur le toit de la vieille bergerie, face au soleil levant.

C’est un grand plaisir de suivre cet auteur dans ses pensées méandreuses et profondes qui l’emmènent de l’écologie à la stylistique, en passant par l’agronomie, la cynégétique et la mythologie.