Kalouaz Ahmed, La Maraude, 2016, 9,70 euros.
Le père de Théo, au chômage depuis bien trop longtemps, disparait du jour au lendemain. Théo, son fils, se donne trois jours pour le retrouver. Il fugue, et, durant sa quête, va découvrir le monde de la rue.
Un roman court, qui allie efficacité d’une langue puissante à une histoire touchante. Le fil rouge du roman : la quête de Théo, alterne avec des pauses très poétiques sur des tranches de vie d’hommes et de femmes vivant dans la rue. Ces récits de « clochards » ouvrent la voie à la sociologie et à l’ethnographie et sensibilisent le lecteur à la « désocialisation » de ces personnes en marge (à lire : Les Naufragés de Patrick Declerck).
Une structure romanesque rythmée qui fait de cet ouvrage un objet littéraire à mettre entre toutes les mains.
(MC)
Kalouaz Ahmed Demain c’est le beau monde 2017 78 p. 10 €
Ed. Le mot et le reste
Une femme s’adresse à son mari.
Elle revisite, seule, des lieux de l’arrière Provence qu’ils ont parcourus ensemble. Elle se souvient. Lui oublie. Elle raconte comment, progressivement, la mémoire, la parole le déserte, comment Alzheimer a fini par remporter ce combat perdu d’avance. Elle se souvient des jours heureux où la musique, le violoncelle occupaient chez eux une place essentielle qu’elle croyait éternelle. Elle revoit Gaïa, une amie apaisante des beaux jours, son vieux professeur de musique qui se ragaillardit, lui, quand il ressort son violoncelle. Elle part retrouver son mari dans la maison médicalisée où elle l’a placé, espérant le reprendre avec elle et construire, malgré tout, leur nouvelle existence.
J’ai rarement été aussi ému à la lecture d’un roman, sans pour autant être concerné de près par le sujet. Ahmed Kalouaz a ce don de faire parler – justement, je crois… – une femme, comme il le fait aussi dans Les Solitudes se rencontrent. Il parvient, à merveille, à révéler toutes ces petites blessures de l’âme que la vie sait si bien nous infliger. Il a aussi une attention infinie aux sensations, aux cadeaux que la nature peut offrir à ceux qui la contemplent. Dans ce livre, la vie simple se promène, en apparence calme et riche d’invisibles douceurs (p. 75). JLM
Ahmed Kalouaz Les Solitudes se ressemblent. 2014. 92 p. 13 €
Ed. la brune au rouergue
Une femme, la narratrice, attend son amant dans une chambre d’hôtel et raconte à l’absent d’où elle vient. Fille de harkis, doublement exclus car traîtres pour les Arabes, et Arabes pour les Français, née en France, elle passera du camp au centre éducatif pour fuir la violence d’un père en perte de repères de sens, et les cherchant comme d’autres avec son ceinturon. Elle évoque ces hommes et ces femmes perdus, abandonnés, « incasables », leur vie dans les camps, l’école où M. Lespale essaiera d’en sortir quelques uns de ce marasme, la violence et la délation qui y règnent, la révolte des plus jeunes, sa propre vie de femme de ménage, son amour en miettes, à la sauvette.
Ahmed Kalouaz a un talent particulier pour évoquer le sentiment d’exil, l’impossible retour, la profonde mélancolie des déracinés. Dans une écriture poétique, il parvient aussi à adopter le point de vue féminin, avec, je pense, une grande justesse. Cette femme qui passe d’une temporalité à une autre nous émeut, cette « orpheline éternelle » qui associe ce sentiment d’impossibilité d’aimer et d’être aimée qu’elle éprouve à la profonde déréliction de son père qui, comme tant d’autres de ses compagnons d’infortune « s’est offert cinquante années de vie supplémentaires […] qu’il paye de cette réclusion, assis à la façade d’un immeuble ». JLM
Ahmed Kalouaz Avec tes mains,
Babel, 2009
Ahmed K raconte la vie de son père en se tenant au plus près des faits avec le souci de « dire les mots justes» qui caractérise son travail d’écrivain. Les chapitres se succèdent : de 1932, année où l’état-civil attribua le nom d’Abd el-Kader à son père adolescent, orphelin, privé de tout, dans un hameau misérable proche de Arzew en Algérie à la date de 2002, qui fut celle de la mort de son père et son retour, selon son désir, dans l’Oranais, comme dernière demeure.
« Avec tes mains » décrit une vie de travail âpre et douloureuse sur les chantiers d’autoroute ou de barrage quand les usines avaient besoin de bras.
Son père échappa à la vie solitaire des ouvriers maghrébins en faisant venir sa famille dans une petite maison sans confort proche de Grenoble. L’auteur se réconforte avec ce choix, comme avec le souvenir de quelques moments partagés au temps des cueillettes avec ce père fermé aux échanges. La famille s’enrichit de onze enfants.
Au delà d’une histoire familiale, l’auteur restitue des pans d’histoire contemporaine Son grand-père combattit au Chemin des Dames, son père fut incorporé deux fois lors de la Seconde guerre mondiale et défila à Paris en avril 1945.
La guerre d’Algérie fit de sa famille, installée en France, la victime des deux camps. Des Trente Glorieuses aux années de crise, l’histoire économique et sociale de la France défile. Certains hommes furent broyés et soumis, leurs fils se souviennent.
M Fargues
Ahmed Kalouaz Une étoile aux cheveux noirs
Ed Babel, 2013.
Un homme, quitte sa maison près de Landernau, en Bretagne pour rendre visite à sa mère, dame âgée dont l’immeuble dans une cité de Grenoble va être rasé. Il fait le curieux choix de faire le voyage de 1000 kms avec la Motobécane de son père, décédé. Il lui faut « cette vitesse lente » pour mieux retrouver sa mère.
Il rassemble les pans de la vie de celle qui fut une jeune fille algérienne pauvre, mariée par les autres, quittant l’Oranais en 1950 pour s’installer à la Mure en Isère.
Dans une maison sans confort, elle élèvera, avec le maigre salaire de son mari, onze enfants avec des prouesses d’ingéniosité et de courage. Dorénavant, elle vit seule, devenue très religieuse, dans une cité bien plus dangereuse qu’autrefois.
L’auteur a l’art de la pudeur, de la tolérance et de la compréhension pour retracer les dernières années du colonialisme, l’arrivée en France des immigrés, le racisme économique et social mais aussi l’intégration réussie des enfants par l’école française.
La mère ne sait pas lire et se sentira toujours en exil. Son fils, lui, goûte les mots, les paysages, les amis de cette France qui est sienne, tout en rendant un tendre hommage à cette mère digne, proche et lointaine à la fois. Et si la réussite de celle qu’un ami juif, il y a bien longtemps nomma « l’étoile aux cheveux noirs » était ce fils aîné et ses autres enfants, qui s’accomplissent pleinement sur la terre de France, sans oublier leurs racines ?
M Fargues
Ahmed Kalouaz Les Sauvageons
Ed. Rouergue 2013. 125 p. 10.20 €
En 1849, dans le Cantal, à Condat, le jeune Hippolyte, 14 ans, est placé, après la mort de son père chez un oncle, savetier. L’homme est dur avec l’enfant qui suit un colporteur, rencontré au marché. Il signe son malheur. Pour avoir suivi un voleur, il est présenté au juge et envoyé à la colonie agricole de Bousseroque (Cantal). Il y connaîtra des conditions de vie quasi inhumaines.
Ahmed Kalouaz a écrit un livre pour jeunes adolescents, il réussit à illuminer ce récit avec l’amitié d’Hippolyte pour un autre enfant qu’il protège, le travail avec le maréchal-ferrant de la colonie, les 2 fuites de l’enfant dont une à Sète auprès d’émigrés italiens..
Il y a cependant une autre lecture possible beaucoup plus sombre pour les adultes, avec des éléments que l’auteur évoque comme les enterrements clandestins des nombreux enfants qui décèdent.
Ahmed Kalouaz a fait pour ce livre un travail de recherche historique profond.et réussit à décrire habilement la misère sociale de la première partie du XIX ème siècle.
Les philosophes (« Surveiller et punir » de Michel Foucault) et les historiens de l’histoire des mentalités ont largement travaillé sur les colonies pénitentiaires du XIX ème siècle. La loi fondatrice des colonies pénitentiaires agricoles date de 1850, les jeunes détenus devant retrouver santé physique et morale par le travail agricole. Il n’en fut rien.
50 colonies agricoles furent créées entre 1830 et 1850 dont la colonie pénitentiaire de Mettray, près de Tours. Son étude a donné lieu à des publications remarquables.
Les colonies pénitentiaires se terminèrent en 1898. (Mde de Neuvy-le-Roi)
Ahmed Kalouaz Mon cœur dans les rapides
Ed. Rouergue 2012
Joli récit de la découverte du sentiment amoureux et des émotions chez des adolescents, le temps d’un camp de canoë kayak – soit une quinzaine de jours. Cela se passe au bord de la rivière Ardèche.
Trois personnages principaux : Juliette équilibrée et plutôt sentimentale, Léa, son amie plus joueuse et affirmée et Nicolas, poète et jeune-homme assez secret. Juliette et Léa sont au camp de et Nicolas aide sa tante à la buvette entre autres occupations.
Le caractère, les émotions, les échanges et les sentiments – profonds ou fugaces – des trois adolescents sont décrits par petites touches avec justesse à travers des passages dialogués et l’évocation de leurs rêveries. Le récit mêle la description du site, des activités, du mouvement du camp et de ce qui se passe tout autour dans un langage simple qui reflète bien les modes d’échange des adolescents. Rien de pesant. Cela reste léger et profond à la fois.
On devine en filigrane les mondes familiers d’ Ahmed Kalouaz : évocation de l’Ardèche, courte allusion à la Bretagne et, bien sûr la poésie d’auteurs (Apollinaire, Aragon sont mentionnés) ou celle de Nicolas…
Mon cœur dans les rapides peut être lu avec plaisir par des adultes ou des adolescents.
Ahmed Kalouaz Juste écouter le vent
Ed. du Rouergue La Brune 2015, 77p, 12,80 €
Juste écouter le vent est un long poème mi-prose mi-vers ou Kalouaz séjournant à l’hôpital à cause de sa maladie respiratoire, évoque son enfance et repense à son grand-père enrôlé en 14/18 et assassiné pendant la guerre d’Algérie. C’est l’occasion pour lui d’écrire et de rendre hommage à tous les poètes et chanteurs qui l’ont inspiré
J’avais déjà aimé « Une étoile aux cheveux noirs » et « Avec tes mains » des hommages respectifs à sa mère et à son père. Ce qui me séduit chez Kalouaz c’est la manière dont il nous fait entrer dans son univers poétique : « J’ai posé sur la table trois livres, un carnet qui à l’estran me permettra de récolter les mots à marée basse… ». De plus, il nous parle d’un sujet et tout ce qui tourne autour est occasion de poésie. (AMC)
Une belle parole, humaine, sensible. Kalouaz livre ici le récit d’un topos littéraire : la nuit à l’hôpital avant l’opération. Propice à la rêverie, au lyrisme personnel aux références aux auteurs qu’il aime. Ce vagabondage nous étreint, nous émeut par son profond humanisme. (JLM)
Ahmed Kalouaz La part de l’ange
Ed. Le bruit des autres 2009 130 p. 15 €
La part de l’ange, c’est 54 courts billets d’une à deux pages de prose poétique où vagabonde la plume du poète attentif aux rencontres, aux sensations, aux émotions, aux petits bonheurs de l’existence. « La part des anges », c’est tout ce qui s’évapore quand le vin est en fût, quand l’alcool vieillit dans les chais. Sensible au temps qui passe et à l’alchimie du verbe, le poète inscrit dans sa page la mémoire volatile du monde.
On écrira avec le silence pour compagnon de route, l’histoire d’un cheveu sur un drap, d’une seconde de doute, avant de rire d’avoir aimé être naïf P. 89
On retrouve en filigrane dans ce recueil à la poésie délicate le paysage mental et la géographie d’Ahmed Kalouaz, ceux des récits de son histoire familiale (Avec tes mains, Une étoile aux cheveux noirs, À l’ombre du jasmin) ou de ses méditations poétiques (Juste écouter le vent) (JLM)
Ahmed Kalouaz Je préfère qu’ils me croient mort
Ed. Rouergue 2011. 100 p. 9,70 €
Kounandi est un jeune malien de 14 ans qui passe ses journées à taper dans un ballon avec les copains de son quartier. Il attire l’attention d’un recruteur véreux italien – peut-être deux pléonasmes ! – qui lui fait miroiter l’espoir d’une carrière prestigieuse en Europe et parvient à soutirer au père de Koumandi 2000 € recueillis par le biais d’une tontine auprès de toute sa famille pensant investir dans la carrière du jeune homme. Il connaîtra la désillusion hantée par l’image de la déception qui guette tous ceux qui ont cru en lui et aura la pensée qui fait titre : Je préfère qu’ils me croient mort.
Ahmed Kalouaz, dans ses romans jeunesse, a l’art difficile de rendre agréables à lire les faits de société et d’attirer l’attention de ses lecteurs jeunes ou moins jeunes sur le miroir aux alouettes que constitue l’univers pailleté du Foot-system. Très bien documenté et truffé de détails qui font vrai, – inénarrable tournoi de foot miteux à la Motte-Beuvron ! – son roman n’est pas sans nous rappeler le premier opus de Fatou Diome, l’auteure sénégalaise du Ventre de l’Atlantique. La preuve s’il en était besoin de la cuisante actualité de ce phénomène hideux. (JLM)
Ahmed Kalouaz La chanson pour Sonny
Ed. Rouergue 2015 73 p. 8,70€
Neuf nouvelles qui tissent une fiction autour de l’histoire véritable de héros du sport, de leur engagement à la fois dans leur discipline et dans l’histoire de leur pays, voire du monde : l’holocauste, la ségrégation raciale, la résistance… On y croise le coureur cycliste Gino Bartali, Tommie Smith et John Carlos, les sprinters américains de Mexico 1968, poing ganté dressé pour s’élever contre la ségrégation ou Abebe Bikila, le coureur de fond éthiopien aux pieds nus à la croisée d’autres destins.
Ahmed Kalouaz aime le sport, on l’a vu avec je préfère qu’ils me croient mort sur les jeunes footballeurs africains attirés par le miroir aux alouettes du foot-system. Il aime aussi jeter un regard très lucide sur les faits de société tels que les sans logis, les sports extrêmes, et sait les traiter avec poésie, avec humanité. Il maîtrise à merveille l’écriture concise – ses récits ne sont jamais très longs ! et la brièveté de la nouvelle lui convient parfaitement – et l’art de la chute. Un recueil jeunesse qui séduira aussi bien les lecteurs débutants que le tout public. (JLM)