Silvana OCAMPO « La Promesse » – éditions des femmes Antoinette Fouque
Dans « La Promesse », le roman paru en 2011, de Silvana Ocampo, figure majeure de la littérature argentine, la narratrice se livre à une série de récits qui s’enchaînent et qui sont comme un « dictionnaire de souvenirs« , chacun évoquant un évènement, un motif lié à une personne qu’elle a connue.
Elle est tombée d’un bateau et les êtres croisés dans sa vie défilent dans sa mémoire tandis qu’elle même est à la dérive en pleine mer et tente d’échapper à la noyade. Elle fait cette promesse, si elle est sauvée, d’écrire le livre qui restitue au fil des pages « l’ordre ou plutôt le désordre » instauré dans son esprit.
Dans ce court roman, composé de fragments indépendants, les personnes font de brèves apparitions qui constituent des récits autonomes, d’autres ressurgissent à divers moments du roman, certaines scènes même se répètent, se reprennent avec des variantes. Silvana Ocampo manifeste dans ce roman son goût affirmé dans ses nouvelles pour la brièveté.
Où en est la conscience du personnage à la fin du roman ? Qu’est-ce qui affleure encore dans les dernières pages ?
« La Promesse » semble bien échapper à ce que l’auteure tient pour une convention qui voudrait qu’un roman ait une fin.
Michèle Plisson
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Kamel DAOUD ZABOR ou Les psaumes Actes Sud
A travers l’itinéraire d’un petit garçon de l’enfance à la fin de l’adolescence, Kamel DAOUD nous entraîne dans plusieurs mondes à la fois. L’histoire se passe dans un village reculé au sud de l’Algérie, après l’indépendance.
Zabor dont la mère est morte est affligé de certaines caractéristiques qui le distinguent des autres enfants : sa voix est chevrotante, son corps est malingre et il a des évanouissements inexpliqués. Son père, remarié et subitement enrichi, le rejette ainsi que ses nombreux demi-frères et il est accusé d’avoir précipité l’un d’eux au fond d’un puits à sec…
Zabor est donc éloigné du foyer paternel et élevé par sa tante paternelle, elle aussi mise à l’écart car non mariée…
C’est à l’école que Zabor prend conscience de l’étrange pouvoir des mots en découvrant l’écart entre la langue de la maison qui renvoie pour lui à des choses bien concrètes (objets, évènements etc…) et celle de l’école – arabe dialectal et arabe classique. Différent et appliqué, il réussit mais est évincé de l’école car trop particulier dans un monde de traditions. Il confie alors ses pensées, ses observations à des cahiers qu’il enterre soigneusement. Puis lui vient la conscience que les mots ont un autre pouvoir : vaincre ou faire reculer la mort – tout comme pour Shéhérazade… rendre présent ce que l’on ne peut voir…
Par les pérégrinations de Zabor confronté aux mots et à son imaginaire, dans l’espace et le temps, Kamel DAOUD développe une belle réflexion sur la langue et l’écrit sur fond d’évocations de l’Algérie profonde : l’emprise de la religion, des traditions et superstitions, la puissance de la nature aux portes du désert…
Ecriture entrelacée du récit et des réflexions sur la langue et la mémoire. (LC)
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Titus n’aimait pas Bérénice Nathalie Azoulai , P.O.L
Une femme est abandonnée par son amant qui décide de retrouver sa femme légitime et son foyer. Les vers de Racine sur l’amour des femmes hantent et bercent l’esseulée, en proie à un immense chagrin.
La majorité du livre est consacrée à une biographie fine et documentée de Racine.
A vingt kilomètres du château de Versailles, se trouve l’abbaye de Port-Royal. Orphelin très jeune, Jean Racine y étudie. Féru de grec et de latin, il aime la grammaire, la poésie, la langue française et déclame à merveille. Il reçoit l’enseignement des trois maîtres les plus renommés de France :Antoine Le Maître, Claude Lancelot, Pierre Nicole .
Il quitte le vallon austère et rejoint Paris et ses cousins Antoine et Nicolas. Il compose des odes, fréquente salons et cabarets, devient l’ami de La Fontaine et le protégé de Molière et trouve ses rivaux dans les frères Corneille.
Jean Racine écrit ses tragédies, confiant les rôles à des actrices qui deviennent ses maîtresses. Marie joue Bérénice : « Je l’aime, je le fuis. Titus m’aime, il me quitte » ; Les femmes de la cour pleurent « la séparation ». L’auteur écoute les confidences des femmes pour nourrir son génie féminin.
Il devient le plus grand auteur dramatique du royaume et entre à l’Académie française.
Les vers de Phèdre sont encensés mais on y dénonce le vice et l’inceste. Devenu l’historien du roi, il l’accompagne sur les champs de bataille puis écrit pour les pensionnaires de Madame de Maintenon. Devenu gentilhomme ordinaire de la Maison du roi, il fait partie du premier cercle de Louis XIV.
Au crépuscule de sa vie, il revient à l’essentiel et entreprend de raconter Port-Royal où il sera enterré selon ses vœux en 1698. Le roi, dix ans après la mort de Racine, fera brutalement supprimer l’abbaye janséniste, allant jusqu’à faire déterrer 3000 corps du cimetière. (MF)
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L’ordre du jour d’Eric Vuillard, Actes Sud, mai 2017
Eric Vuillard nous donne une leçon d’histoire implacable, un livre comme une gifle séche. « L’ordre du jour » aurait pu porter un autre titre comme: « Petits et grands arrangements avec le nazisme »
Tout commence dans le froid du 20 février 1933, à Berlin. Bien au chaud dans leurs pardessus, 24 financiers et industriels allemands sont réunis au palais du Reichstag par le président de l’Assemblée, Hermann Goering. Hitler passe en coup de vent. Gustav Krupp, Carl von Siemens, Wilhem von Opel et consorts acceptent de bon coeur de renflouer le parti nazi à coups de milliers de marks.
En 1937, Lord Halifax, le président britannique du Conseil se rend à l’invitation d’un Goering délirant et alors que les nazis ont perdu toute retenue, il ne voit rien.
Hitler n’en peut plus d’attendre l’annexion de l’Autriche. Le 11 mars 1938, dans un sursaut, après bien des compromissions, le chancelier autrichien Schuschnigg donne sa démission. Les troupes allemandes entrent en Autriche. Par une dérision pathétique, les chars de la Werhmacht bouchonnent à la frontière. Les Autrichiens attendent pourtant l’arrivée des nazis dans une allégresse indécente alors que l’on martyrise les Juifs dans les rues.
Le 29 septembre 1938, Daladier et Chamberlain rencontrent Hitler et Mussolini. Churchill dira: « Vous aviez le choix entre le déshonneur et la guerre. Vous avez choisi le déshonneur et vous aurez la guerre ». Les hommes de « l’ordre du jour » sont lâches, ridicules et plein de morgue.
En 1945 pour les industriels de février 33, la guerre a été « rentable » . Tous ont loué des déportés à Buchenwald, Ravensbruck, Sachsenhausen, Mathausen, Dachau, etc qui mouraient au bout d’un mois ou d’un an au plus.
Basf, Bayer, Agfa, Opel, IG Farben, Siemens, Allianz, Telefunken qui fabriquent nos objets du quotidien sont leurs descendants. L’histoire est chaotique et effroyable, il faut la dire pourtant.
Madeleine Fargues